Le temps d’une journée complète, 24 heures s’est glissé dans la vie d’une équipe de sauveteurs volants. A la base aérienne de Lausanne, le samedi s’est achevé dimanche à 3 h 30 du matin. Après cinq interventions.
Samedi matin, 8 heures, aérodrome de la Blécherette. Beau temps, belle neige. Dans l’air flotte la promesse d’un superbe week-end. Ce qui augmente d’autant la probabilité des accidents. Aux yeux des sauveteurs de la Rega, la journée s’annonce «potentiellement chargée». Mais il n’y a pas de règle. Ou plutôt si. Une seule: être prêts à décoller.
Un engin rouge et blanc au cockpit de verre trône dans le hangar. Si rutilant qu’il semble ne jamais avoir servi, ou juste pour la parade. En réalité, il a volé des centaines de fois depuis sa mise en service en mars 2003, nous apprend Laurent Riem, l’un des trois pilotes de la base de Lausanne. C’est un Eurocopter EC-145, une merveille de technologie, une salle de soins intensifs volante.
Tout juste sorti de la douche, après quelques heures de sommeil dans l’une des trois chambres à coucher du «lieu de vie» situé à l’étage, Laurent Riem est prêt à reprendre les commandes. L’assistant de vol Philippe Nidegger, lui, n’a pas dormi ici. Il vient de prendre sa garde. Déjà vêtu de sa combinaison rouge, le «paramédic à tout faire» prépare la machine et le matériel médical: de l’électronique de bord à la trousse d’intubation, il contrôle tout en prévision de la prochaine intervention. On peut être appelé dans la minute qui suit, comme ne pas décoller de la journée. Rega 4 (c’est le nom de la base de Lausanne) intervient entre zéro et huit fois par jour.
Comme au chalet
Le changement d’équipe se fait en douceur. Christophe Perruchoud, le médecin «entrant», prépare son équipement. A l’étage, le Dr Pascaline Jolivet a largement terminé son service, mais elle ne s’en ira qu’après avoir déjeuné avec ses collègues de piquet pour les prochaines vingt-quatre heures. L’ambiance est détendue, conviviale, le temps s’étire: «Passe-moi le beurre.» Avec toute cette neige alentour, ce ciel bleu, cette terrasse au soleil, ce plafond boisé, on se croirait au chalet, entre amis. Le téléphone sonne à côté du pilote: «C’est la météo.» Nouvelle sonnerie: «Cette fois, c’est pour nous.» Fausse alerte, quelqu’un s’est encore trompé en composant le numéro de Radio-Framboise. On se marre.
Sont-ils réellement calmes ou font-ils comme si? «C’est vrai que c’est un peu usant ce stress permanent qui plane», concède Laurent Riem, 13 ans de maison: «Mais celui qui est toujours sur les nerfs ne peut pas faire ce job très longtemps.» A 11 heures, la centrale d’alarme de Zurich appelle pour une mission secondaire: transfert de patient du CHUV vers Saint-Loup à 13 heures. Le rendez-vous peut être déplacé. Il le sera.
Car à 12 h 05, alors que l’eau frémit pour les spaghettis, le 144 engage Rega 4 sur une mission primaire: accident de snowboard, col de Jaman, patient conscient. Le trio de sauveteurs descend les escaliers métalliques, s’équipe de pied en cap. Le médecin se prépare pour un treuil, «au cas où». L’hélico est sorti au moyen d’un chariot télécommandé, comme un gros joujou.
Accélération
L’équipe est de retour à la base vers 14 heures, l’estomac vide. Le snowboarder est au CHUV. On prépare la machine pour la suite, puis on songe à manger. A table, on revient sur l’intervention: la neige trop molle pour se poser, l’hélico qu’il a fallu faire passer sous le câble du téléski, la «belle chute» du blessé... C’était une mission facile: «La plupart du temps, on ne se pose pas trop de questions, on est appelés, on y va, on sait exactement ce qu’on a à faire», explique Philippe Nidegger, mais il y a des situations plus dures que d’autres émotionnellement. Le plus poignant, le plus difficile, c’est la famille autour. Ça aussi il faut gérer, prendre en charge.»
Peu avant 16 heures: «Piéton renversé à La Neuveville. Normalement c’est Berne qui y va, mais ils sont sans doute déjà engagés ailleurs.» On repart. Temps de vol estimé à vingt minutes. Pour gagner du temps, le médecin prépare ses seringues et tout ce qu’il faut pour intuber. Sur la chaussée, le patient est inconscient, âgé, polytraumatisé. Il sera héliporté à l’Insel Spietal de Berne dans un état critique, sous la surveillance constante du médecin de la Rega qui sue à grosses gouttes en s’activant devant les écrans de contrôle.
A 17 h 31, Rega 4 est de retour à la base. On fait le plein, on rentre la machine, on remet tout en état. La nuit est tombée, il se met à pleuvoir. A 18 h 20, il faut repartir: enfant en arrêt respiratoire, noyé dans une baignoire. 19 h 55: les sauveteurs reviennent les traits tirés, silencieux. Le bébé a été réanimé, il a retrouvé un rythme cardiaque durant son transport, mais dans quel état est son cerveau?
22 h 40. Nouvel appel. C’est Zurich. Laurent Riem jette un coup d’œil par la fenêtre: «Oui, on peut.» On peut, car on voit les lumières de l’usine de Pierre-de-Plan, les crêtes des Alpes et la France. Destination: l’Hôpital de Thonon pour un transfert de patient vers le service de neurochirurgie du CHUV. La nuit sera courte: à 2 heures du matin, Rega 4 vole vers Aclens au secours d’un jeune motocycliste heurté par un automobiliste.
Hier matin à 10 heures, le Dr Christophe Perruchoud quittait la base avec un grand sourire, satisfait du travail accompli: «Tout a bien fonctionné. La journée a été un peu plus chargée que la moyenne, très intéressante du point de vue professionnel. Nous avons eu des patients de 1 an à 70 ans, des pathologies et des lieux d’intervention extrêmement variés.»
JOËLLE FABRE
Nombreux sauvetages aériens en montagne
BILAN DU WEEK-END
120 missions pour la Rega, 38 pour Air-Glaciers, 14 pour Air Zermatt.
Les sauveteurs ont beaucoup volé ce week-end. En dépit du redoux et des imprudences humaines, aucune avalanche n’a été déclenchée. Cependant, le beau temps a attiré les grandes foules en montagne, sur et hors les pistes. Hier à 17 heures, la centrale d’intervention de la Rega à Zurich avait compté plus de 120 missions entre samedi et dimanche, dont 86 pour les sports d’hiver. «C’est extrême, commente le chef de presse Walter Stünzi, en regard de notre moyenne journalière qui est de 30 interventions.» En Valais romand, Air-Glaciers est intervenu 38 fois et qualifie cela de «normal» compte tenu des bonnes conditions météo et du degré de remplissage des stations.
En Haut-Valais, Air Zermatt a vécu un samedi assez calme (3 missions) et un dimanche plus chargé: 11 interventions, surtout pour secourir des skieurs et des snowboarders.
Jo. F.
vu sur le site 24 heures